Depuis les arrêts rendus par l’Assemblée plénière de la Cour de Cassation le 22 Décembre 2023 (n°20-20.648) et la chambre sociale de la Cour de Cassation les 17 Janvier 2024 et 14 février 2024 (n°22-17.474 et 22-23.073)
La preuve est l’élément central du procès prud’homal. Faute pour l’employeur d’apporter la preuve du fait fautif, la sanction disciplinaire peut être invalidée.
Pour commencer, un peu de vocabulaire :
- la preuve légale est une preuve règlementée. Par exemple, la preuve des actes juridiques d’une valeur supérieure à 1500 euros ne peut être rapportée que par un écrit (acte authentique ou acte sous seing privé)
- la preuve loyale est une preuve qui a été obtenue de manière loyale (sans utiliser de stratagème ou de provocation)
- la preuve licite est la preuve qui remplit les trois critères cumulatifs suivants :
- Elle doit être loyale
- Elle doit respecter une transparence collective (consultation du CSE)
- Elle doit respecter le RGPD
En principe, une preuve ne peut être admise lors d’un procès que si elle est licite.
La Cour de Cassation a cependant admis des entorses à ce principe au fur et à mesure de ses décisions.
Pour autant : peut-on considérer que désormais, tous les moyen (de preuve) sont bons ?
Pas exactement.
Dans son arrêt « Petit Bateau » du 30 Septembre 2020, la Cour de Cassation déclare recevable une preuve illicite (publication par un salarié sur son compte Facebook d’une photographie de la future collection de la marque) à condition qu’elle soit :
- indispensable à l’exercice du droit à la preuve
ET
- proportionnée au but poursuivi
En mars 2023, la Cour de Cassation précise sa jurisprudence : pour être recevable, la preuve illicite doit être le seul moyen de preuve possible.
Dit autrement : si la partie qui a versé la preuve aux débats dispose d’un ou de plusieurs autres éléments de preuve licites, la preuve illicite doit être écartée des débats.
Ce principe a été consacré par l’Assemblée Plénière de la Cour de Cassation le 22 décembre 2023, à propos d’un enregistrement sonore réalisé par l’employeur à l’insu du salarié.
Après avoir constaté que cet enregistrement sonoreétait le seul élément de preuve permettant de prouver la faute commise par le salarié, la Cour a considéré que ce moyen de preuve illicite était recevable.
C’est ce qui explique que dans un arrêt du 17 Janvier 2024, la Cour a cette fois déclaré irrecevable un enregistrement sonore réalisé à l’insu de l’employeur
La cour de cassation a écarté cet enregistrement des débats, considérant que le salarié disposait d’autres moyens de preuve, licites quant à eux, pour établir le harcèlement moral dont il avait fait l’objet.
C’est également la raison pour laquelle la Cour a admis la recevabilité d’enregistrements filmés issus du dispositif de surveillance mis en place par l’employeur pour contrôler les clients de la pharmacie pour démontrer le vol commis par le salarié dans son arrêt du 14 février 2024.
La Cour a reconnu que le moyen de preuve était illicite mais a estimé que l’employeur, qui avait le droit de veiller à la protection de ses biens, n’avait en l’espèce pas d’autre moyen de prouver l’infraction que de présenter les vidéos litigieuses.
En conclusion, le juge ne peut admettre un moyen de preuve illicite que dans la mesure où il est démontré qu’il n’y avait, pour celui qui l’invoque, aucun autre moyen de prouver ses affirmations.
Au travers de sa jurisprudence, la Cour de Cassation a donc réussi à consacrer le principe du droit à la preuve tout en limitant les abus.